Halloween approchait à nouveau. Minus et Gadouille avaient prévu, comme à leur habitude, d’inviter leur amis de la forêt autour d’un bon repas.
L’Automne était radieux. Les journées quoique plus courtes s’écoulaient tranquilles et ensoleillées. Mais un beau matin, Gadouille ouvrit les rideaux de sa chambre et n’en crut pas ses yeux.
Il courut dans la chambre de Minus. Il le tira du lit sans être capable d’expliquer clairement la cause de son agitation, puis l’entraîna sur la terrasse de la maison, du côté de la colline au châtaignier.
Minus fit un effort pour se réveiller, écarquilla les yeux et en resta coi.
En haut de la colline, flanquée du châtaignier, là où la veille, il n’y avait que de l’herbe, se tenait une chaumière ventrue.
Cette chaumière, ils la reconnaissaient. C’était celle des deux sorcières qu’ils avaient rencontrés à Halloween l’année précédente (le festin d’Halloween). A cette occasion, la citrouille domestique des deux femmes avait volé le pique nique des lutins. Ceux-ci avaient voulu le récupérer. Ils avaient été très impressionnés lorsqu’ils avaient rencontré les sorcières dans leur chaumière. Et ils avaient préféré tout laisser et prendre congés rapidement. Cette chaumière, ils ne l’avaient plus retrouvés par la suite : disparue, volatilisée.
Mais ce matin, elle était bien là, à quelques pas de leur propre maison.
Il fallait qu’ils en aient le cœur net malgré l’inquiétude naissante. Ils mirent leur bottes et traversèrent la clairière couverte de rosée. À mi chemin, la porte s’ouvrit. La citrouille voleuse sortit et vint à leur rencontre les bras ouverts.
— Mes amis, quel plaisir de vous revoir, il les embrassa avec entrain. J’ai installé la chaumière là pour quelques jours. Comme ça, on va pouvoir passer du temps ensemble ! Fêter Halloween ensemble ! Formidable comme idée, non ?
— Et vos maîtresses, heu les sorcières ? hasarda Minus.
— Oh, elles sont parties au Sud. Elles ont dit qu’elles avaient envie de se faire dorer au soleil cette année.
Les lutins furent un peu soulagés. Les sorcières n’étaient pas méchantes mais impressionnantes pour de petites créatures comme eux. Leur simple présence les mettait assez mal à l’aise.
— Le déjeuner est prêt ? J’ai une faim de loup.
C’est ainsi que commença le séjour de la citrouille chez les lutins. Elle arrivait tôt le matin. Elle attendait son petit déjeuner à la table de la cuisine puis ne manquait aucun repas jusqu’au soir, inventant même quelques en-cas en cours de journée. Il fallait la mettre dehors à la nuit pour qu’elle daigne rentrer dans sa chaumière.
Impossible pour les lutins d’aller se promener ou d’entreprendre des cueillettes, elle voulait toujours rester chez eux : bien tranquille à l’intérieur, disait elle.
Au bout de quelques jours, les lutins furent excédés de ce petit manège. Il fut convenu qu’ils mangeraient tous ensemble mais qu’ensuite chacun pourrait vaquer à ses affaires. La citrouille accepta. Cependant, elle semblait très embêtée à chaque fois qu’il fallait rentrer chez elle.
Un jour, après le repas, Gadouille l’observa depuis la fenêtre. Elle se tenait hésitante devant leur porte. Soudain, elle se décida à traverser la clairière d’un pas agitée. Elle guettait le ciel de tous côtés. Un corbeau se posa sur la colline. La citrouille se mît à courir et entra en trombe dans la chaumière.
Gadouille sourit de voir cette grande citrouille effrayée par un oiseau, lui qui les aimait tant.
Cependant, les jours suivants, Gadouille constata que de plus en plus de corbeaux volaient ou se posaient dans la clairière. On auraient même dit qu’ils guettaient la citrouille.
Tout était calme en cette fin d’après midi. Cela sentait bon la tourte aux légumes dans la maison des lutins. Le ciel avait pris de jolies teintes orangées annonçant la fin du jour. Il faisait doux. Les portes et fenêtres de la maison étaient ouvertes. Minus taillait un morceau de bois dans son fauteuil. A la fenêtre, Gadouille contemplait la nature devenue rousse. Il entendit la porte de la chaumière s’ouvrir et se refermer. C’était l’heure du repas, assurément. Il se pencha pour voir la citrouille descendre la colline à sa manière dégingandée. Aucun oiseau pensa-t-il. Quoique. Un corbeau, perché sur le châtaignier, plongea soudain vers la pente. Il atterrit non loin du passage de la citrouille et sautilla à sa suite. Gadouille allait rire de cette scène lorsque son regard se porta sur un point noir dans le ciel. Un corbeau virait à toute allure vers le cucurbitacée. Un autre sortit de derrière une branche, puis un autre encore. En quelques instants, des centaines de corbeaux furent perchés sur le châtaignier. Gadouille sortit précipitamment. Minus qui avait vu son air inquiet lui emboîta le pas.
La citrouille n’avait rien vu. Elle aperçu cependant la mine de ses amis et s’arrêta. Elle commençait à se retourner lorsque les oiseaux parurent pris d’un même élan. Dans un flot bruissant de plumes noires, ils fondirent vers elle. Elle se mît à courir. Mais les oiseaux étaient déjà sur elle et lui picoraient la tête. Minus et Gadouille se précipitèrent à sa rencontre. Et tous trois progressèrent péniblement vers la maison en battant des bras pour éviter les coups de becs.
Ils fermèrent portes et fenêtres puis glissèrent au sol, essoufflés, terrifiés et écorchés de partout.
— C’est une vieille histoire, commença la citrouille, cela remonte bien avant ma rencontre avec Mélise et Griselda, mes amis les sorcières.
Le feu de cheminée réchauffait toute la pièce. Il faisait nuit. Les lutins avaient sorti du lait chaud et des gâteaux. Ils s’étaient installés près de l’âtre.
— J’étais un jeune cucurbitacée alors. Insouciante et un peu inconséquente, je dois l’avouer. J’aimais parcourir le monde d’Halloween et je n’hésitais pas à fouiner dans les affaires des autres. Un jour que j’explorais une des parties les plus reculée de la forêt, je trouvais une clairière désolée où se dressait un énorme arbre noir. Un éclat orangée dans l’écorce attira mon attention. Je pénétrais dans la clairière et compris que les feuilles de l’arbre étaient en fait des corbeaux. J’hésitais car plus je m’approchais plus ils me regardaient méchamment.
Le reflet orangée provenait d’une grosse pierre enchâssée dans le tronc. Elle était très belle et je l’aurais bien touché. Soudain plusieurs corbeaux quittèrent leur perchoir et me barrèrent le chemin. Ils poussèrent un cri pour bien me faire comprendre qu’il ne fallait pas que j’approche plus.
J’attendais la nuit et comme je m’en doutais ils finirent par s’endormir. Ce fut alors un jeu d’enfant d’aller jusqu’au tronc et d’en retirer la pierre. Mais aussitôt, les corbeaux se réveillèrent et se mirent à ma poursuite. Heureusement, la nuit sans lune et la forêt me permirent d’échapper facilement aux stupides volatiles.
Depuis lors, je sais commander au feu mais j’ai quelques soucis à éviter les corbeaux le jour. Je suis relativement à l’abri la nuit, sauf à la nuit d’Halloween, bien sûr. C’est pourquoi, je me suis mis au service de Mélise et Griselda. La puissance des sorcières m’a tenu invisible aux yeux des oiseaux. Seulement, voilà, cette année, elles sont parties en vacances et il semblerait que les vieilles rancunes refassent surface.
Minus et Gadouille étaient consternés.
— Mais cette pierre tu l’as toujours, alors ? demanda Minus.
La citrouille sourit, ouvrit très grand sa bouche, y plongea sa fine main feuillue et en ressortit une pierre orangée de la taille d’un gros œuf. La lueur interne de la citrouille devait en provenir car toute la pièce fut alors teintée d’orange.
Fasciné, Minus voulut la prendre mais la citrouille la ramena vers son visage et la goba d’un coup.
— Et que veux tu dire quand tu dis, je sais commander au feu ? demanda Gadouille.
La citrouille fit une petite danse de la main en direction de l’âtre. Une volute de feu se mît à tournoyer en une belle arabesque. La citrouille fit un large geste du bras et la flamme en suivit le mouvement à travers la pièce. Elle se posa sur la mèche d’une bougie qui s’alluma, puis se volatilisa dans l’air.
Les lutins étaient épatés. La citrouille riait avec fierté de son tour. Mais après un moment d’euphorie, Minus reprit :
— Demain, c’est la nuit d’Halloween. Si ces corbeaux t’ont retrouvés, nous risquons d’avoir des soucis.
— C’est simple, tu n’as qu’à leur rendre la pierre, s’écria Gadouille content de son idée.
La citrouille serra les lèvres très forts et croisa les bras.
— Bon, d’accord, enchaîna Minus, on va trouver une autre solution alors.
L’autre solution fut d’aller chercher des informations sur les corbeaux dans les grimoires des sorcières, dés la première heure, le lendemain matin.
A l’aube cependant, ils hésitèrent longuement avant de mettre le nez dehors. Le moindre passereau les effrayaient. Ils coururent sans s’arrêter vers la chaumière.
Une fois à l’intérieur, les lutins reconnurent tous les objets étranges et flacons colorés qui les avaient tant impressionnés lors de leur première visite. La citrouille recommanda de ne toucher à rien. Elle rangea même une boule de cristal aux éclats bleutés. Minus étala les livres d’une bibliothèque, sur la table et entreprit de les feuilleter. Gadouille sortit le casse croute qu’ils avaient prévu.
Minus trouva un bestiaire et s’écria après quelques pages :
— Ah AH ! Les corbeaux sont volontiers les compagnons des sorciers.
Rasséréné par cette progression, il demanda à la citrouille de faire chauffer de l’eau pour le thé.
Minus lisait avidement. La citrouille se rongeait les sangs. Et Gadouille mangeait. Tous burent du thé. Et tous furent pris d’une envie irrépressible de dormir. Et tous s’endormirent. Car toute inquiète qu’elle était, la citrouille n’avait pas fait attention à quelle marmite, elle utilisait pour faire chauffer l’eau. Elle avait justement prise celle de Mélise, dédiée à confectionner les potions de sommeil.
Il faisait presque nuit. Minus se réveilla le premier. Il secoua Gadouille. La citrouille remuait également. Ils ne prirent pas la peine de s’interroger sur la raison de cette sieste prolongée.
— Nous n’avons plus le temps d’étudier, s’écria Gadouille, la nuit d’Halloween va bientôt commencer.
— J’ai tout de même appris quelque chose d’autre, intervint Minus, Alors que les sorcières préfèrent les chats comme acolytes, les corbeaux sont l’apanage des sorciers.
— Il faut rentrer chez nous, interrompit Gadouille, nous barricader, s’il le faut et tenir la nuit !
Les lutins se pressèrent vers la porte. La citrouille s’élança la première. À peine avait elle passée le seuil que deux corbeaux vinrent la percuter. Elle ne sembla pas affectée. Mais bientôt, une nuée de formes noires emplit le ciel et forma un tourbillon autour d’elle. Elle lutta un instant mais finit par être totalement désorientée et chuta lourdement au sol. Les lutins se frayèrent un chemin dans le rideau noir de plumes. Minus sortit sa dague pour repousser les oiseaux. Gadouille releva la citrouille. Ils réussirent à retourner dans la chaumière à coups de dagues et de poings. Ils y poussèrent le cucurbitacée et claquèrent la porte.
La nuée de corbeau changea le crépuscule en nuit noire. Un bruissement effrayant entoura la maison puis cessa. Les corbeaux devaient tous s’être posés sur la chaumière. Soudain les fenêtres explosèrent. Les corbeaux envahirent la pièce. La cheminée vomissait aussi un flot d’oiseaux. Minus et Gadouille s’étaient saisis de tabourets et tentaient de repousser les volatiles comme ils pouvaient. La citrouille sortit de sa stupeur. Elle tendit la main vers l’âtre de la cheminée. Une braise y rougit puis une flamme en surgit. Elle la fit tournoyer au dessus d’elle. La flamme prit la forme d’un fouet s’agitant au plafond de la chaumière.
Les lutins lui crièrent d’arrêter mais il était trop tard. Des brins de paille s’étaient enflammés. Les corbeaux se posèrent partout dans la pièce, sur les étagères, par terre, sur la cheminée. On aurait dit que l’intérieur de la chaumière était recouvert d’un plumage.
Seul le cucurbitacée continuait de s’agiter, tentant d’enlever le feu de la paille. Soudain, un énorme corbeau fit son entrée par la cheminée. Quand la citrouille l’aperçut, elle s’arrêta enfin, les yeux et la bouche grandes ouvertes. Le corbeau s’approcha d’elle et poussa un cri strident. La citrouille recula. Elle semblait chercher un appui mais à la surprise de tous, elle se saisit de la boule de cristal rangée sur une étagère et la brisa au sol.
Un nuage bleuté s’éleva à l’endroit où elle s’était cassée en milles morceaux. On entendit des toussotements et une voix féminine qui dit :
— Ça a intérêt à être important !
Les deux sorcières se tenaient là dans la fumée qui se dissipaient. Elles portaient des lunettes de soleil et de charmantes tenues légères.
L’une dressa la main et étouffa les flammes du plafond. L’autre posa les mains sur les hanches en contemplant la scène :
— Mais qu’est ce que c’est que ça ?
Les corbeaux frémirent. Seul le gros volatile se redressa. Il grandit même de plus en plus et dans un « plop » se transforma en homme. Il portait un grand manteau noir, une barbe très soignée et un sceptre.
Les lutins s’étaient glissés sous la table.
— Griselda ! Mélise ! Si je m’attendais, dit l’homme.
— Hibald ? Que fais tu chez nous ?
— Je ne me serais jamais permis si j’avais su qu’il s’agissait de votre demeure. Je suis venu réclamer un bien volé et enfin retrouvé : la pierre de feu qui t’était d’ailleurs destiné Griselda. Le regret se lût sur son visage. Si seulement tu avais voulu.
La plus grande des sorcières sourit avec une pointe de gène.
— Et où est elle cette pierre ?
Et comme si c’était une évidence renouvelée pour tous que c’était toujours de sa faute, les regards se posèrent sur la citrouille. Elle se redressa et offrit son plus beau sourire luisant.
Incroyable histoire en réalité, mais je vous assure tout est vrai. Il y avait longtemps, Hibald avait courtisé Griselda. Elle avait refusé son amour et la pierre magique comme présent de fiançailles. Ils étaient restés bons amis même si de l’extérieur, on voyait bien qu’il y avait plus que de l’amitié entre ces deux là.
A vrai dire, ce soir là, les sorciers étaient ravis de se retrouver. Ils commencèrent par évoquer le bon temps et les précédentes nuits d’Halloween. Mélise proposa de fêter cela à nouveau ensemble puisque les bêtises de la citrouille les avaient réunis.
Les corbeaux furent priés de sortir. Les sorcières s’excusèrent auprès de Minus & Gadouille pour cette mésaventure et les invitèrent à la soirée improvisée.
Au cours des discussions, le sorcier et les sorcières se mirent d’accords. La pierre resterait dans la citrouille. En fait, Hibald l’offrit de nouveau à Griselda. Celle-ci accepta à demi mots en proposant que la citrouille la garde. Comme cela satisfaisait toutes les parties, la citrouille pavana tout le reste de la soirée avec sa lueur orangée.
Peu à peu, le choc des aventures et la méfiance s’évanouirent. Dans l’ambiance chaleureuse de la chaumière et des conversations, les deux petits lutins, Minus & Gadouille passèrent une extraordinaire soirée auprès de non moins extraordinaires créatures.