Après de longs mois d’hiver, le Printemps s’était à nouveau installé dans la vallée de Minus et Gadouille. Les deux lutins avaient hâte de redécouvrir toutes les merveilles de la nature. Minus s’était mis en tête de confectionner un herbier de toutes les fleurs précoces. Et Gadouille sillonnait les chemins dans l’espoir de trouver des œufs en chocolat, même si les cloches n’étaient pas attendues avant plusieurs semaines.
Un matin que Minus était resté à son bureau pour sélectionner les plus délicats spécimens de corolles et pétales, Gadouille revint de sa ballade dans un état de grande d’excitation. Il tenait dans ses mains un gros œuf brun.
– Regarde Minus, les cloches sont déjà passées. Un œuf en chocolat, rien que pour moi.
Minus s’approcha d’abord émerveillé par la dimension du trophée puis inspecta l’œuf :
– Mais Gadouille, c’est un vrai œuf que tu as là. Regarde, il est tout tacheté de brun. On dirait du chocolat mais c’est un œuf avec un oisillon dedans. Il faut vite le remettre à sa place.
Gadouille mena aussitôt son ami à l’endroit de sa découverte. Hélas, le nid était introuvable. De grandes traces sur le sol laissaient penser que quelqu’un l’avait détruit violemment. Les lutins étaient bien ennuyés. Ils ne se sentaient pas capable de construire un vrai nid. De plus, rien ne prouvait que les parents de l’œuf l’accepteraient comme le leur dans un abri improvisé.
– Nous allons nous occuper de lui, dit Minus.
– Oh oui, oh oui, dit Gadouille en sautillant.
– Ce n’est pas un jeu Gadouille, il va falloir le tenir bien au chaud.
À cet instant justement, l’œuf sembla frissonner. Les lutins ne perdirent pas une minute et rentrèrent chez eux.
Ils décidèrent de l’installer dans le laboratoire de Gadouille. Ainsi, il serait bien à l’abri des courants d’air. Mais il y eut interdiction de se livrer à la moindre expérience chimique pendant tout ce temps.
Minus apporta les édredons les plus chauds. Et Gadouille entreprit de maintenir un feu constant dans sa cheminée en pierres de volcan, grâce à des bûches compactes de sa fabrication.
Avec la douceur du Printemps et cette flambée entretenue nuit et jour, la maison des lutins devint rapidement un four. La chaleur et leur vigilance constante rendirent leurs journées épuisantes.
Mais enfin, un matin, la coquille se fissura. Plantés devant l’œuf, ils se trémoussaient d’excitation. L’oisillon allait apparaître. Un morceau de coquille tomba et un volatile disgracieux dressa la tête. Il avait quelques plumes grises violacées sur le crâne, un bec aplati et tordu et de gros yeux globuleux.
Aussitôt qu’il vit les lutins, il se mît à pousser un cri insupportable.
Minus lui proposa tout ce qu’il pu trouver dans sa cuisine : pain moelleux, biscuit secs, fruits sucrés. Gadouille lui fit son répertoire de grimaces amusantes, chanta des berceuses. Rien n’y fit. L’oiseau ne cessait de pousser des cris perçants.
Ils ne savaient plus quoi faire.
Soudain, on frappa à la porte et curieusement, l’oiseau se tut.
Minus ouvrit et faillit tomber à la renverse.
Bien au dessus de la porte se dressait un énorme oiseau. Son cou était très long. Aussi laid que l’oisillon, on savait immédiatement qu’il s’agissait de sa maman ou de son papa.
Il poussa un couarckk désagréable, gratta le sol de sa grosse patte, l’air d’exiger quelque chose.
Gadouille apporta aussitôt l’oisillon encore installé dans sa coquille. Il le tendit timidement au gros volatile.
Celui-ci saisit son petit par la peau du cou et le chargea sur son dos. Il descendît son bec à la hauteur des lutins et leur souffla dessus de son haleine fétide.
Alors il s’en fut d’un air hautain.
La vie reprit son cours et les lutins gardèrent un souvenir amusant de cette petite aventure.
Puis, un matin que Minus allait partir pour sa cueillette, il entendit un feu brûler dans le laboratoire. Intrigué, il y entra. Sur le bureau de Gadouille était posé un œuf recouvert de papier métallique rouge : un magnifique œuf à déballer et à croquer. Minus s’approcha se disant qu’il aimerait bien le goûter lorsque Gadouille surgit derrière lui.
– Ne te fâche pas, dit il, J’ai cru, j’ai vraiment cru cette fois ci que les cloches étaient passées. Il était là, tout seul à flan de montagne.
Minus, le nez sur la coquille, n’en revenait pas de sa méprise. A nouveau, il s’agissait d’un vrai œuf, bien qu’il n’en ai jamais vu de pareil.
– Incroyable, je me demande à qui cet œuf appartient ?
Piqués par la curiosité, les deux lutins reprirent leur rôle de nounou. Ils s’organisaient de mieux en mieux pour faire du laboratoire une énorme couveuse.
Les jours passèrent et l’éclosion s’annonça.
Quand la coquille s’entre ouvrit une forte odeur de souffre emplit la pièce. Les lutins furent soudain inquiets.
Un bébé dragon aussi rouge que la coquille bondit hors de l’œuf. Lui aussi criait d’une voix suraigüe mais en plus, il volait en renversant fioles et livres sur son passage.
La panique saisit les lutins. Ils se précipitèrent hors de la maison. Ils s’arrêtèrent sur le pas de la porte pour reprendre leur souffle lorsque la maison fut plongée dans une ombre en plein midi.
Ils virent alors un dragon rouge se poser dans leur prairie.
Paralysés par la peur, il le regardèrent s’approcher. À ce moment, le petit dragon franchit la porte en voletant gaiement. Il alla se blottir contre la peau rouge métallique de son parent. Le dragon inclina la tête en signe de reconnaissance. L’instant d’après, il n’était déjà plus qu’un point rouge dans les rayons du soleil. Dans l’herbe brûlée où il s’était tenu, s’étendait un tas de pièce d’or.
Les lutins n’en finirent pas de célébrer leur aventure nouvelle et de rire de leur peur. Minus rangea bien précautionneusement l’or dans son coffre.
La vie reprit à nouveau son cours, mais ils guettaient désormais tout œuf orphelin. Ils avaient pris le goût de rencontrer les créatures mystérieuses de leur vallée et surtout de jouer les sauveteurs. Le mot s’était d’ailleurs répandu et les canes et oies voisines les chassaient dés qu’ils approchaient des nids.
Un jour cependant, non loin du châtaignier, alors qu’ils partaient en ballade, il trouvèrent un magnifique œuf métallique vert.
– Un dragon vert, s’écria Minus.
– Allez, on le prend, supplia Gadouille, il paraît que les dragons verts sont plus tranquilles que les rouges.
Minus acquiesça avec enthousiasme. Ils abandonnèrent leur promenade et filèrent tout droit au laboratoire où il installèrent l’œuf.
Ils allumèrent une énorme flambée avec trois bûches spéciales et allèrent chercher des couvertures dans leur chambres respectives.
Et quand ils revinrent, l’œuf avait déjà fondu, laissant une belle marre de chocolat devant la cheminée. Les cloches étaient enfin passées.